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Quelques textes historiques


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"Le Morte D'Arthur"
de Thomas Mallory
(1465)

Livre Premier
Chapitre I




How Uther Pendragon sent for the duke of Cornwall and Igraine his wife, and of their departing suddenly again.

     IT BEFELL in the days of Uther Pendragon, when he was king of all England, and so reigned, that there was a mighty duke in Cornwall that held war against him long time. And the duke was called the Duke of Tintagil. And so by means King Uther sent for this duke, charging him to bring his wife with him, for she was called a fair lady, and a passing wise, and her name was called Igraine.


    So when the duke and his wife were come unto the king, by the means of great lords they were accorded both. The king liked and loved this lady well, and he made them great cheer out of measure, and desired to have lain by her. But she was a passing good woman, and would not assent unto the king. And then she told the duke her husband, and said, I suppose that we were sent for that I should be dishonoured; wherefore, husband, I counsel you, that we depart from hence suddenly, that we may ride all night unto our own castle. And in like wise as she said so they departed, that neither the king nor none of his council were ware of their departing.

     All so soon as King Uther knew of their departing so suddenly, he was wonderly wroth. Then he called to him his privy council, and told them of the sudden departing of the duke and his wife.


    Then they advised the king to send for the duke and his wife by a great charge; and if he will not come at your summons, then may ye do your best, then have ye cause to make mighty war upon him.

     So that was done, and the messengers had their answers; and that was this shortly, that neither he nor his wife would not come at him. Then was the king wonderly wroth. And then the king sent him plain word again, and bade him be ready and stuff him and garnish him, for within forty days he would fetch him out of the biggest castle that he hath.When the duke had this warning, anon he went and furnished and garnished two strong castles of his, of the which the one hight Tintagil, and the other castle hight Terrabil. So his wife Dame Igraine he put in the castle of Tintagil, and himself he put in the castle of Terrabil, the which had many issues and posterns out. Then in all haste came Uther with a great host, and laid a siege about the castle of Terrabil. And there he pight many pavilions, and there was great war made on both parties, and much people slain.

    Then for pure anger and for great love of fair Igraine the king Uther fell sick. So came to the king Uther Sir Ulfius, a noble knight, and asked the king why he was sick. I shall tell thee, said the king, I am sick for anger and for love of fair Igraine, that I may not be whole. Well, my lord, said Sir Ulfius, I shall seek Merlin, and he shall do you remedy, that your heart shall be pleased.
 
    So Ulfius departed, and by adventure he met Merlin in a beggar's array, and there Merlin asked Ulfius whom he sought. And he said he had little ado to tell him. Well, said Merlin, I know whom thou seekest, for thou seekest Merlin; therefore seek no farther, for I am he; and if King Uther will well reward me, and be sworn unto me to fulfil my desire, that shall be his honour and profit more than mine; for I shall cause him to have all his desire. All this will I undertake, said Ulfius, that there shall be nothing reasonable but thou shalt have thy desire. Well, said Merlin, he shall have his intent and desire. And therefore, said Merlin, ride on your way, for I will not be long behind.
"Roman de Lancelot de la Charrette"
de Chrétien de Troyes
(traduction de l'ancien français)

...
      Bien loin, devant toute la compagnie, Messire Gauvain chevauchait ; Il ne tarda guère à voir venir un chevalier au pas sur un cheval souffrant et fatigué, pantelant et baigné de sueur.

      Le Chevalier a salué Messire Gauvain le premier, et ensuite messire Gauvain lui a rendu son salut.

      Et le Chevalier s’arrêta - Il reconnut messire Gauvain, et lui dit : "Sire, ne voyez-vous donc pas que mon cheval est tout trempé de sueur, de sorte qu’il ne vaut plus rien ?
Et je crois que ces deux destriers sont à vous ; pourrais-je alors vous prier, en promettant toutefois que je vous rendrais le service et une juste récompense, de me prêter ou de m’offrir en cadeau l’un d’eux, n’importe lequel ?". Et messire Gauvain lui répondit : "Choisissez donc celui des deux qui vous plaît le plus."

      Mais celui dont le besoin est grand ne s’attarda pas afin d’en sélectionner le meilleur, ni le plus beau ni le plus grand ; il préféra bondir sur celui qu’il trouva le plus près de lui, et l’a vite lancé en avant, à bride abattue ; et l’autre, qu’il a laissé derrière lui, tombe raide mort, car il l’avait beaucoup fait souffrir ce jour-là, et se fatiguer et se surmener.

      Sans jamais s’arrêter, le Chevalier éperonne sa monture à travers la forêt, et messire Gauvain, derrière lui, le suit, en lui donnant farouchement la chasse, jusqu’à ce qu’il eût descendu la pente d’une colline.

      Lorsqu’il eut traversé beaucoup de terrain, il retrouva mort le destrier qu’il avait offert au Chevalier, et, autour, il vit le sol tout piétiné par des chevaux et couvert d’impressionnants débris de boucliers et de lances ; en toute apparence, de féroces combats menés par de nombreux chevaliers s’y étaient déroulés ; il était mécontent, et regretta de ne pas y avoir participé lui-même.

      Le lieu ne l’a guère longtemps retenu, il préfère pousser en avant, à vive allure. Alors, par hasard, il revit le Chevalier, à pied, tout seul, tout vêtu de son armure, le heaume lacé, l’écu pendu au col, l’épée ceinte, qui était arrivé devant une charrette...

(A l’époque, on utilisait les charrettes comme l’on use du pilori de nos jours, et dans chaque bonne ville où, à l’heure actuelle, l’on en trouve plus de trois mille, il n’y avait alors qu’une seule, et celle-ci était commune, comme le sont aujourd’hui les piloris, aux traîtres et aux assassins, aux vaincus des combats judiciaires et aux voleurs qui se sont emparés des biens d’autrui en volant furtivement ou par la force sur les grands chemins : tout repris de justice était mis dans la charrette et mené par toutes les rues ; ainsi se trouvait-il désormais hors toute loi, et n’était plus écouté à la cour, ni honoré ni reçu avec dignité. C’est parce qu’à cette époque-là on jugeait de la sorte les charrettes, comme des choses cruelles, que l’on entendit dire alors pour la première fois : "Quand charrette verras et rencontreras, fais sur toi le signe de la croix et souviens-toi de Dieu, pour que malheur ne t’arrive point.")

      Le Chevalier, à pied et sans lance, s’avance vers la charrette et voit sur les limons un nain qui, en bon charretier, tenait dans sa main une longue baguette.

Et le Chevalier dit au nain : "Nain, fait-il, pour Dieu, dis-moi tout de suite si tu as vu par ici passer ma dame la reine." Le nain perfide et de vile extraction ne voulut point lui en donner des nouvelles, mais se contenta de dire : "Si tu veux monter sur la charrette que je conduis, d’ici demain tu pourras savoir ce qu’est devenue la reine."

      Sur ce, il a maintenu sa marche en avant sans attendre l’autre l’espace d’un instant. Le temps seulement de deux pas le Chevalier hésite à y monter. Quel malheur qu’il ait hésité ; qu’il eût honte de monter, au lieu de sauter sans tarder dans la charrette ! Cela lui causera des souffrances bien pénibles ! Mais Raison, qui s’oppose à Amour, lui dit de bien se garder de monter ; elle l’exhorte et lui enjoint de ne rien faire ni entreprendre qui puisse lui attirer honte ou reproche.

      Ce n’est point dans le cœur mais plutôt sur les lèvres que réside Raison en osant lui dire pareille chose ; mais Amour est dans le cœur enclos lorsqu’il lui ordonne et semonce de monter sans délai dans la charrette. Amour le veut, et le Chevalier y bondit, car la honte le laisse indifférent puisqu’Amour le commande et veut.

      Et messire Gauvain se met à la poursuite de la charrette en galopant, et lorsqu’il y trouve assis le Chevalier, il s’en étonne beaucoup ; aors il dit au nain : "Instruis-moi au sujet de la reine, si tu sais le faire." Le nain dit : "Si tu te détestes autant que ce Chevalier assis ici, monte avec lui, si cela te convient, et je t’emmènerai avec lui."

      Quand messire Gauvain l’eut entendu, il jugea qu’accepter la proposition serait insensé et il dit qu’il n’y monterait point, qu’échanger son cheval contre la charrette serait un échange par trop infâme. "Mais où que tu veuilles aller j’irai là où tu iras."

      Si bien qu’ils se mettent tous les trois en route, l’un d’eux à cheval, les deux autres sur la charrette, et ensemble ils gardèrent le même chemin.

      A l’heure des vêpres, ils atteignirent un château, et sachez que ce château était fort puissant et beau. Ils entrent tous les trois par une porte.

      La vue du Chevalier que le nain transporte dans la charrette frappe les habitants d’étonnement, mais ils ne cherchent nullement à se renseigner davantage ; tous se mettent à le conspuer, grands et petits, vieillards et enfants, par les rues, en poussant des huées ; le Chevalier entendit ainsi dire à son sujet de viles injures et des paroles de mépris.

       Tous demandent : "A quel martyre ce Chevalier sera-t-il condamné ? sera-t-il écorché vif ou pendu, noyé ou brûlé vif sur un bûcher d’épines ?

      Dis-le-nous, nain, dis, toi qui le traînes ainsi, de quel forfait fut-il trouvé coupable ? l’a-t-on jugé pour vol ? Serait-ce un assassin ou est-il le vaincu d’un combat judiciaire ?" Et le nain garde un silence absolu, en ne répondant ni une chose ni l’autre.

      Il conduit le Chevalier là où il sera hébergé, et Gauvain suit de près le nain qui se dirige vers une tour, laquelle, de plain-pied avec la ville, se trouvait à la limite de celle-ci.

      Au-delà il y avait des prés, tandis qu’en face la tour s’élevait sur la cime d’un rocher gris, haut et taillé à pic. Derrière la charrette, toujours à cheval, Gauvain pénètre dans la tour.

      Dans la salle, ils ont rencontré, élégamment mise, une demoiselle dont la beauté n’avait pas de rivale au pays ; et ils voient s’approcher deux pucelles avec elle, gentes et belles.

      Dès qu’elles virent Messire Gauvain, elles lui firent un accueil joyeux et le saluèrent ; et elles voulurent s’informer du Chevalier : "Nain, quel crime ce Chevalier a-t-il commis que tu conduis là comme s’il était impotent ?"

      Il ne veut leur offrir aucune explication, mais se contente de faire descendre le Chevalier de la charrette, et puis s’en va ; on ne sut point où il alla.
...



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Traduction en français
de "Le Morte d'Arthur"
par P
·i·e·r·r·e G·a·u·b·e·r·t,
sous le nom de
"Le roman du roi
Arthur et de ses
Chevaliers de
la Table ronde"
(1994)

Comment Uter Pendragon fit venir à lui le duc de Cournouailles ainsi qu'Ygerne, sa femme, et comment ils repartirent soudainement.

     IL ADVINT au temps d’Uter Pendragon, lorsqu’il était roi de toute l’Angleterre et régnait comme tel, qu’il y avait en Cornouailles un puissant duc qui avait soutenu contre lui une longue guerre. Ce duc s’appelait le duc de Tintagel. Le roi Uter fit venir ce duc, lui ordonnant d’amener avec lui son épouse, car elle était réputée belle dame et grandement sage. Elle avait nom Ygerne.


     Adonc, lorsque le duc et sa femme arrivèrent chez le roi, grâce à l’entremise de grands seigneurs ils furent réconciliés. La dame plut beaucoup au roi, il s’éprit d’elle et les festoya sans mesure. il aurait voulu partager la couche de la duchesse. Mais c’était une femme de grande vertu, et elle refusa de consentir aux désirs du roi. Elle avertit le duc, son époux, lui disant. « Je soupçonne qu’on nous a mandés pour que je sois déshonorée. C’est pourquoi, mon époux, je conseille que nous partions d’ici au plus vite pour chevaucher toute la nuit jusqu’à notre château. » Comme elle l’avait dit, c’est ainsi qu’il fut fait, et ni le roi ni aucun de ses conseillers ne s’aperçurent de leur départ.



     Dès que le roi Uter apprit qu’ils s’en étaient allés aussi soudainement, il entra en grand courroux. Il réunit ses conseillers particuliers et les informa du brusque départ du duc et de sa femme.


    Lors les conseillers demandèrent au roi d’obliger le duc et son épouse à venir par mandement impératif " Et s’il refuse de se rendre à votre ordre, alors vous serez libre d’agir à votre guise. Vous aurez fondement à mener contre lui une dure guerre ".

    Ainsi fut fait. Réponse fut donnée aux messagers. C’était en peu de mots ceci - ni le duc ni son épouse n’acceptaient de venir au roi. Lors le roi entra en grand courroux. À nouveau il fit remettre au duc un clair message, disant qu’il lui fallait se préparer, renforcer troupes et défenses, car avant quarante jours il viendrait le tirer de son plus puissant château. Quand le duc reçut cet avertissement, aussitôt il alla pourvoir d’hommes et de défenses deux de ses châteaux forts, dont l’un avait nom Tintagel et l’autre Terrabel. Il mit sa femme, dame Ygerne, dans le château de Tintagel, et lui-même prit place dans celui de Terrabel, lequel avait maintes issues et poternes. Lors en diligence accourut le roi Uter avec une grande armée. Il mit le siège devant le château de Terrabel. Il y planta des tentes en grand nombre, de grands assauts furent menés de part et d’autre et bien des gens tués.


   Si vive était sa colère et si impérieux son amour pour la belle Ygerne que le roi Uter tomba malade. Devers lui vint alors messire Ulfin, noble chevalier, qui demanda au roi les causes de sa maladie. « je vais te les donner, dit le roi. Si je suis malade, c’est de colère, et c’est l’amour que je porte à la belle Ygerne qui m’empêche de guérir. - Eh bien, repartit messire Ulfin, je vais quérir Merlin. Il y apportera remède et votre coeur sera content. »

 
     C’est ainsi qu’Ulfin partit, et d’aventure il rencontra Merlin sous l’accoutrement d’un gueux. Merlin demanda à Ulfin qui il cherchait. « Ce n’est pas ton affaire, lui fut-il répondu. - Eh bien, dit Merlin, je sais qui tu cherches, car tu cherches Merlin. Donc ne cherche pas plus longtemps, car je suis cet homme-là. Si le roi Uter veut bien m’en récompenser et s’il peut s’engager à satisfaire mon désir, il en tirera plus d’honneur et de profit que moi, car je ferai en sorte qu’il obtienne tout ce qu’il souhaite. -je m’engage, repartit Ulfin, à ce que, dans la limite du raisonnable, ton désir soit satisfait. - Eh bien, dit Merlin, le sien sera exaucé et comblé. Poursuis donc ton chemin. J’aurai tôt fait de te rejoindre.i»